Pou de les Colobres : quand l’ancien monde tarde à mourir

De temps à autre, au détour d’une discussion, de vieux souvenirs remontent à la surface.
C’est le cas du projet de développement d’une zone d’activité le long du chemin du Pou de les Colobres.
Il s’agit d’un vieux projet datant du début des années 2000 mais dont les PLU de Perpignan et de Cabestany gardent des traces, rendant ainsi ce projet toujours possible.

Carte du Pou de les Colobres
Carte des projets d'aménagement du Pou de les Colobres

Une zone d’activité comme une autre

La zone de la Cote du Sergent en 2020
La zone de la Cote du Sergent en 2020

Depuis la fin des années 70, le développement économique des communes de la périphérie de Perpignan a été assuré principalement par la création de zones commerciales et de zones d’activité. Ainsi, Rivesaltes, Claira, Saint-Estève, Le Soler et Cabestany ont vu très tôt l’apparition de ce type de zones qui, pendant un temps, ont remplacé avantageusement l’activité agricole déclinante.
Cette logique de développement s’est emballée à partir des années 90 et a continue dans les années 2010. Les décideurs politiques locaux sont en fait incapables de penser un autre mode de développement.
À cette logique, il faut rajouter le « tout bagnole » qui a vu le Conseil départemental (CD66) investir massivement dans une infrastructure routière structurellement congestionnée. Ainsi, une série de rocades et de voies de contournement ont été construites autour de Perpignan, mais sans jamais que ce réseau puisse être comparé à un « périphérique ». Dans les années 2000, le CD66 lance, en partenariat avec les communes de Perpignan, Cabestany et Saleilles, un projet de rocade reliant la D617 à la route d’Elne, au niveau du Mas Balande récemment transformé en zone d’activité.
Ce projet intégrait une nouvelle route le long du Pou de les Colobres, doublant la route d’Elne et évitant de la rénover et de la sécuriser entre le Moulin à Vent et le Mas Balande[1].
Concertée, l’association Vélo en Têt avait qualifié ce projet de « délirant »[2].
Vélo en Têt répondra à l’enquête publique concernant cette route et parlera notamment du problème de la « fluidification »[3]. Par contre, l’association ne participera pas aux enquêtes publiques et concertations concernant les rectifications des PLU de Perpignan et de Cabestany.

Début 2007, lors d’une soirée au centre culturel de Cabestany autour du projet « Cabestany 2020 », ce projet de route et de développement de zones d’activité fut présenté par Jean Vila, maire de Cabestany, et un responsable en charge de l’urbanisme. Le projet fut valorisé et la capacité de travail en commun des maires des 3 villes concernées vantée.
À titre accessoire, ma tête est visible dans la photo d’illustration prise lors de la réunion et utilisée par la mairie pour la communication dans le bulletin municipal.

La nouvelle route rendait accessible aux automobiles la zone de la Coulomine et de la Cote du Sergent. Ces zones n’étant que des friches agricoles et étant en bordure d’un futur écoquartier, il paraissait judicieux, dans la tête des élus, de récupérer ces terrains et d’en faire des zones d’activité, offrant des emplois aux habitants du sud-est de Perpignan. Les PLU seront donc modifiés en conséquence.

Les habitants s’opposent

la carte de la rocade Est
La carte de la rocade Est

La construction d’une route nécessite des opérations de concertation et au minimum une enquête publique. Et pour ce faire il faut prévenir en amont les habitants impactés par le projet.
Et le problème avec les habitants c’est qu’ils n’ont pas toujours la même vision des choses que les élus.
Et dans le cas de la rocade Sud-Est c’est le moins que l’on puisse dire.

Partant de la D617, la nouvelle rocade devait longer le Mas Llaro et ses villas cossues. Certes, la déserte du secteur était grandement améliorée. Mais la promesse d’une amélioration des conditions d’accès au secteur ne fut pas suffisante, même si elle était demandée à l’époque[4]. En effet, le cadre de vie du quartier aurait été fortement impacté par le ballet incessant des voitures. Clairement, les nouvelles infrastructures routières créées sous l’ère Bourquin-Alduys ont rapidement été saturées, nécessitant la création de nouveaux axes pour fluidifier la circulation. Il était évident que les habitants que la rocade Sud-Est connaîtrait le même sort. Ils s’opposèrent donc fermement et le firent savoir. Le poids politique du quartier fit le reste. Le projet de rocade fut abandonné. Dans le même temps, Bourquin quitta le CD66 pour la présidence du Conseil régional et Alduys alla s’enfermer dans la tour d’ivoire de l’Hôtel d’agglomération.

La zone de la Cote du Sergent en 2020, des terrains voués à la construction
La zone de la Cote du Sergent en 2020, des terrains voués à la construction

Mais en 2009 les modifications des PLU furent présentées. Des recours devant les tribunaux administratifs furent déposés et en 2019 certaines procédures étaient toujours en cours. En 2020 la mairie votait la création de la ZAC du Pou de les Colobres. Un seul élu vota contre, Brice Lafontaine, LREM. Contacté via Facebook pour comprendre les motifs de son vote, il déclara simplement s’opposer à la destruction de la pinède. Une volonté de défense de l’environnement peu partagée par les élus du département.

Un écoquartier dépassé avant même de naître

Le terrain devant accueillir le futur écoquartier
Le terrain devant accueillir le futur écoquartier

Il est des modes comme des hommes politiques, elles vont et viennent. Parfois les modes et les hommes politiques se rencontrent. Ce fut le cas pour l’écoquartier du Pou de les Colobres.
Les années 90 furent marquées par le développement d’écoquartiers un peu partout en France. Jean-Paul Alduys, qui était plus ou moins urbaniste, ne pouvait passer à côté de cette vague. Ainsi, au pied du Moulin-à-Vent, ville nouvelle créée par Paul Alduys dans les années 60, la création d’un écoquartier devait répondre à la volonté de Jean-Paul Alduys.
Un simple rond-point permettra de lier l’œuvre du père à celle du fils.

Le quartier est dense, 4 à 5 000 habitants, près de 12 000 habitants au kilomètre carré. C’est beaucoup. Surtout pour une ville avec une densité de près de 1 800 habitants au kilomètre carré.
Un collège était prévu, mais cette partie-là du projet sera vite abandonnée.
Ces néoperpignanais devaient fournir les employés et les clients de la zone d’activité.
L’écoquartier se voulant qualitatif, les logements auraient été plus chers que la moyenne de la ville, une classe moyenne désireuse de s’entasser dans des clapiers à lapin s’y serait installée, apportant avec elle son « pouvoir d’achat ».
Sans doute faut-il voir dans ces nouveaux arrivants les cadres barcelonais que le TGV et le Théâtre de l’Archipel devaient attirer. Tous ces projets sont concomitants et témoignent de la même vision de l’aménagement du territoire et du développement économique. Une vision qui peut se résumer à une fuite en avant vers un toujours plus quantitatif qui cache un toujours moins qualitatif.

15 ans après son lancement, ce projet n’en est réduit à une simple ZAC, sans plus aucune ambition ni écologique, ni économique. Juste du béton et de la promotion immobilière « bas du front ».

L’urbanisme : le grand absent de la pensée politique locale ?

L’aménagement du territoire, l’urbanisme, la mobilité sont les grands absents de la campagne municipale de 2020.
Les programmes des différentes listes qui se sont présentées sur les communes n’ont abordé ces sujets que de façon superficielle. Faut-il construire de nouveaux lotissements, et où ? Doit-on développer les transports en commun ? Comment arbitrer entre le vélo et la voiture ?
Les débats de fond sont évacués, non pas tellement du fait d’une complexité supposée ou réelle, mais du simple fait du malaise intellectuel que ces débats provoquent chez ceux qui les découvrent. Accepter l’idée que d’un point de vue conceptuel, ou même pratico-pratique, une ville taillée pour la voiture sera très similaire à une ville taillée pour le vélo peut nécessiter de gros efforts intellectuels[5].
Comme d’autres domaines de savoir, l’urbanisme fait l’objet de croyances et lorsqu’une personne doit choisir entre les faits et les croyances, elle choisit prioritairement ses croyances. La seule réponse à ce problème est l’éducation populaire, mais pour ce qui touche à l’urbanisme, à l’aménagement du territoire ou à la mobilité, qui en fait ?
Pas grand monde et surtout pas à Perpignan.

Alors que certains, un peu partout en Occident, débattent du droit à la ville, à Perpignan on ne pense pas, on compte. À croire qu’ici personne ne veut que la ville redevienne un bien commun.

Le terrain devant accueillir le futur écoquartier en 2020

Liens et sources

Documents d’urbanisme

Le site Géoportail de l’urbanisme : https://www.geoportail-urbanisme.gouv.fr/map/#tile=1&lon=2.424722&lat=46.76305599999998&zoom=6

Le PLU de Perpignan : https://wxs-gpu.mongeoportail.ign.fr/externe/i9ytmrb6tgtq5yfek781ntqi/telechargement/prepackage/PACK_DU_66136_fc9098fe3f2d926b3f60fee65c07dafc/file/66136_PLU_20170414.zip/p>

Le PLU de Cabestany : https://wxs-gpu.mongeoportail.ign.fr/externe/i9ytmrb6tgtq5yfek781ntqi/telechargement/prepackage/PACK_DU_66028_79b3b591caed3115c51977ceeaa41557/file/66028_PLU_20180215.zip

Le projet d’écoquartier : https://www.mairie-perpignan.fr/fr/demarches/urbanisme-amenagement-habitat/operations-damenagement/pou-les-colobres

Rocade Sud-Est

L’avis de Vélo en Têt en 2010 sur le projet de rocade : https://veloentet.fr/node/168

Critique des écoquartiers

Article sur le site de Reporterre : https://reporterre.net/Les-eco-quartiers-ne-sont-pas-vraiment-ecologiques

Dossier de la revue Métropole : https://journals.openedition.org/metropoles/6017

Notes

Note 1
Cette section de route était propriété de l’État qui à l’époque ne semblait pas intéressé par des travaux d’élargissement. Il était donc plus facile et plus rapide pour le CD66 de réaliser une nouvelle route que de discuter avec l’État. 15 ans plus tard les bouchons persistent.
Note 2
https://veloentet.fr/article/rencontre-avec-le-cg
Note 3
https://veloentet.fr/article/la-fluidification
Note 4
https://www.lindependant.fr/2011/12/14/le-mas-llaro-unique-et-insolite-vit-dans-l-indifference-polemiques-autour-du-mas,95409.php
Note 5
https://www.puf.com/content/Lurbanisme
Basiquement une ville s’étend sur une distance qui peut être parcourue en une heure depuis son centre. Cette distance s’apprécie en utilisant le mode de transport dominant. Cette règle est fréquente dans le temps et l’espace. Dans les agglomérations les cyclistes se déplacent à des vitesses moyennes similaires à celle des automobilistes. Favoriser l’un ou l’autre de ces modes de déplacement n’aura donc que peu d’effet sur l’étalement urbain par exemple.
De plus le vélo comme la voiture impliquent des modes de déplacement de point à point, ce qui favorise l’habitat individuel. À l’inverse les transports en commun favorisent l’habitat collectif et groupé.

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